Noorassur : un intermédiaire en finance islamique moyennement rassurant
Le premier réseau d’agences spécialisées en épargne et assurance islamique ne présente peut-être pas toutes les garanties de transparence et de sérieux attendues d’un intermédiaire en placement financier.
L’histoire officielle de Noorassur démarre en 2012. Sonia Mariji, conseillère en gestion de patrimoine indépendante, décide de fonder une enseigne de distribution de produits de placements conformes aux exigences de l’islam. Ces dernières ont un tronc commun avec l’investissement éthique en général (pas de placements dans l’industrie de l’armement ou la pornographie, par exemple), additionné de plusieurs particularités. La plus notable est la prohibition par le Coran des taux d’intérêt. La finance islamique, qui brasse des centaines de milliards de dollars à l’échelle de la planète, s’en accommode fort bien, d’autres montages permettant de rémunérer l’épargne et les placements. « La crise de 2008 a été le déclencheur, raconte Sonia Mariji. En allant sur le terrain, je me suis aperçue qu’il y avait une forte demande dans la communauté musulmane pour des placements ayant un sens. Aujourd’hui, cette communauté est cliente des réseaux traditionnels, qui n’éprouvent pas le besoin de lui proposer des produits adaptés à ses spécificités ».
Le succès est rapidement au rendez-vous. Noorassur ouvre sa première agence en franchise à Chelles (77). Six autres suivent à Melun (77), Nantes-Rezé (44), Annemasse (74), Tours (37), Creil (60) et Ferney-Voltaire (01), où la société a son siège social. « Nous visons une quinzaine de franchisés fin 2017 et une cinquantaine fin 2018 », précise Sonia Mariji. « Notre intention est de devenir un courtier grossiste qui fournira le réseau en produits de finance halal : assurance vie, épargne retraite, complémentaire santé, élaborés par des grands groupes, comme Swiss Life. Nous allons également distribuer des cartes de paiement, en nous adossant à un établissement bancaire ».
CFCI, UN PRÉCÉDENT OCCULTÉ
Sonia Mariji soutient qu’elle a créé et dirige Noorassur « toute seule », ce qui n’est pas exact. Des documents disponibles sur le registre du commerce et des sociétés attestent qu’une société immatriculée en Suisse, Groupe Financial Invest, est actionnaire de Noorassur. Par ailleurs, il est facile de vérifier que le site Lafinanceislamique.com/Noorassur a été créé en 2011 par deux administrateurs de Noorassur, Sonia Mariji et Rodolphe Pedro. Les deux entrepreneurs se connaissent très bien. Ils ont administré ensemble pendant plusieurs années la Compagnie française de conseil et d’investissement (CFCI), créée en 2009 et liquidée en 2015. À bien des égards, la CFCI est le précurseur de Noorassur. On retrouve dans les deux structures Sonia Mariji et Rodolphe Pedro. Elles ont quasiment la même adresse : 13 chemin du Levant, 01210 Ferney-Voltaire (13D pour CFCI, 13A pour Noorassur). Au-delà, il y a similitude dans les modèles économiques. Au printemps 2012, alors que sa situation économique devenait précaire, la CFCI avait annoncé le lancement d’une assurance vie « charia compatible ». Elle a cessé ses activités avant de la commercialiser.
« La CFCI entendait démarcher une clientèle populaire dans les quartiers, résume Jean-Pierre Rondeau, patron de Megara Finance. Elle distribuait, comme Noorassur, essentiellement des produits Swiss Life. L’idée de Rodolphe Pedro était de former au conseil en patrimoine des jeunes de banlieue pour une clientèle de banlieue, ce qui m’a toujours laissé songeur. Dans nos métiers, nous sommes rémunérés à la commission. Avoir une activité viable avec une clientèle à patrimoine réduit est une gageure, sauf à facturer des commissions anormalement élevées. On peut le déplorer, mais c’est la réalité ».
Interrogée, Sonia Mariji soutient que Rodolphe Pedro n’occupe « aucune fonction au sein de Noorassur » et ne « souhaite plus être médiatisé ». En réalité, la dernière intervention télévisée du médiatique patron de CFCI date seulement de juillet 2016. Et à la onzième minute de l’émissiondiffusée sur la chaîne Numéro 23, il s’autorise un exercice de promotion tonitruant en faveur de Noorassur !
Cette entité connaîtra-t-elle une fin prématurée comme la CFCI ? Il est trop tôt pour le dire, mais les chiffres communiqués par Sonia Mariji n’incitent guère à l’optimisme. Avec quelque mille clients et 10 millions d’épargne collectée, le portefeuille moyen des clients du réseau Noorassur serait de 10 000 € seulement. Par ailleurs, le site Noorassur laisse clairement à désirer : aucune précision sur les commissions prélevées et un outil de simulation de rendement (combien va vous rapporter votre épargne) totalement muet sur les risques de perte en capital… Noorassur a un sérieux travail de clarification à réaliser pour incarner l’avenir de la finance halal en France.
Source : https://www.quechoisir.org/actualite-noorassur-un-intermediaire-en-finance-islamique-moyennement-rassurant-n46036/